Pérégrination Artistique#27. Chronique Bourguignonne partie 1
Endormi sur un canapé déplié pour l'occasion, j'ouvre les yeux et mes pensés encore un peu vaporeuses sur un paysage urbain qui m'est inconnu. Se détachant du ciel bleu, quelques maisons de couleur jaune claire aux tuiles rouges ocrées typiques de la Bourg''CLAC''
- Thé ou café ? Me lance mon ami surgissant énergiquement dans son magnifique caleçon rouge qui souligne sublimement toute la subtilité du galbe de son divin fessier.
- Hum…. Chocolat chaud. Renvoyais-je tout aussi mollement que mes mouvements larvaires sur le canapé.
- T'as bien aimé la soirée d'hier ? Me demanda t-il alors, souriant pendant qu'il rejoignait la cuisine ouverte sur le salon où j'avais passé la nuit.
- Top ! Super top même !
En même temps, fraîchement débarqué sur Dijon, il, et ses sympathiques camarades, m'emmenèrent sans attendre dans la magnifique salle du Cellier de Clairvaux voir un concert avec plusieurs artistes, dont le groupe lillois Jungle Sauce, puis poursuivre cette festive soirée Au Vieux Léon.
Me tendant mon bol avec un second rempli de fromage blanc aux céréales, il m'adresse alors un faciès d'une grande malice très suspect et m'interrogeât alors
- Ça te tente le musée des Beaux-Arts de Dijon cet aprèm ?
J'ai compris, c'était en fait l'expression de quelqu'un qui connaissait déjà pertinemment ma réponse.
Ainsi, tel le gros touriste que je suis et que je revendique être, me voilà prêt. Repu, dents brossées, chaussures lassés, toutes les affaires nécessaires dans mon sac à dos, casquette vissée, appareil photo autour du cou pouvant être immédiatement dégainer.
- C'est parti pour l'aventure dijonnaise.
Contrairement aux villes du nord souvent détruites par les guerres mondiales, Dijon nous laisse, tout le long de ses étroites et tortueuses ruelles où se dressent de bancales et magnifiques maisons à colombages, contempler sans honte le charme de son ancienneté médiévale durant laquelle elle était la capitale du puissant (et machiavélique) duché de Bourgogne du Royaume de France. En effet, suite au démantèlement de l'Empire Romain d'Occident à la fin du Ve siècle, le royaume Burgondie s'instaure sur le territoire où était installée la tribu Burgonde jusqu'alors fédérée. Le mariage quelques années plus tard de leur princesse Clothilde à Clovis, roi des Francs scella définitivement le destin de ce territoire à l'histoire de France. Tout d'abord en royaume Burgonde dans les guerres fratricides des dynasties mérovingienne et carolingienne, puis en duché à partir des rois capétiens et enfin, plus tard, en région dite de Bourgogne.
Venant des halles centrales de Dijon, nous avançons dans les petites et tortueuses ruelles du centre jusqu'à une place où, devant nous, s'élève la grande façade de l'église de Notre-Dame de Dijon bâtit au XIII en pleine période architecturale gothique mais qui se distingue cependant par de nombreuses spécificités. Déjà cette devanture murale à trois étages, celui du bas composé de trois portails puis deux en arcature, chacun séparés des autres par trois bandes sur lesquelles est perché un parlement d'une cinquantaine de gargouilles qui nous jugent de leur monstrueux regards. Une inquiétante, intrigante et surplombante présence qui n'a cependant pas toujours été là.
En effet, en 1240, quelque année après la construction de l'église, un homme, lors de son mariage, fut tué écrasé sur le parvis par la chute d'une de ces statues. Hasard ou, comme cela fut plutôt envisagé à cette pieuse époque, punition divine, cet homme était tout comme l'effigie de la sanguinaire sculpture, un usurier, un métier alors moralement réprimandé par les instances catholiques. Par peur superstitieuse, l'ensemble des usuriers de Dijon pesèrent de tout leur poids, en or, pour faire retirer le reste des gargouilles qui furent ainsi absentes pendant près de six siècles puisqu'elles furent re-sculptées puis réinstallées à la fin du XIXe siècle pour notre plus angoissant plaisir. Au sommet de cette façade, une autre curiosité vient, de ses carillons, me piquer. C'est un magnifique campanile horloger noir et ces quatre automates métalliques, Jaquemart et Jacqueline datant respectivement du XIVe et de la moitié du XVIIe, sonnant les heures et les enfants Jacquelinet et Jacquelinette ajoutées au XVIIIe et à la fin du XIXe, qui eux frappent les quarts d'heures.
Après quelques tintements à admirer cet atypique frontispice, nous avions presque oublié le reste de l'église caché derrière. Presque. Nous passons sous le portail vers les portes dont les saisons révolutionnaires du XVIIIe et XIXe ont totalement effeuillé les voussures de leur statuaire décoration. À part la sculpture en bois de la vierge du XI siècle, faisant d'elle l'une des plus ancienne de France, le sein de Notre-Dame de Dijon ressemble à beaucoup d'autre, juste une soudaine éclaircie qui sous nos yeux, fit scintiller dans toute leur splendeur les magnifiques vitraux emplissant alors l'église d'une divine beauté me faisant presque comprendre la profondeur de la foie des individus de l'époque qui, en contraste de cette lumineuse plénitude, vivaient sous le poids de l'omniprésence de la mort et ses multiples visages.
Une fois fait le tour, nous sortons et nous éloignons en longeant l'église par la rue de la chouette qui doit son nom à l'effigie de cet oiseau sculpté dès l'origine à même l'une des pierres de l'édifice religieux. Une présence encore aujourd'hui mystérieuse, la chouette n'étant pas un symbole chrétien. Sait-on juste qu'elle serait porteuse de chance à ceux qui la touchent.
Nous continuons ainsi notre périple vers le musée des Beaux Arts de Dijon installé aujourd'hui dans le palais des (sournois) ducs de Bourgogne qui est, contrairement à l'église de Notre-Dame de Dijon, très décevant. Moi qui avais pourtant touché la chouette... En effet, malgré la puissance (et la fourberie) du duché de Bourgogne dans le royaume de France, se tient en face de moi un plutôt petit bâtiment à la classique façade que très légèrement ornée.
Une fois à l'intérieur, mon humeur est cependant assez vite rehaussé par le grand et magnifique escalier de marbre rose que nous montons pour démarrer la visite. Sur le palier, trois entrées possibles s'ouvrent alors à nous. N'ayant pas pris de plan, je glisse ma tête pour… Ha ! Hé bien, ce sera cette salle ! La salle des antiquités, tout d'abord pour respecter l'ordre chronologique mais aussi pour leurs collections toujours merveilleuses à découvrir.
Bien que les musées des Beaux-Arts ont, dès leur institutionnalisation en 1801 par le décret Chaptal, eu pour mission d'exposer en provinces la collection d'objets d'art picturaux devenue très importante suite à la nationalisation des biens de l'Église et des nobles émigrés à cause de la nouvelle situation politique républicaine française, les départements antiques de ces lieux mobilisent néanmoins une autre fonction muséale. À l'instar des musées que l'on qualifierait de ''thématiques'', telles que la Maison du Marais de Saint-Omer qui présente le marais Audomarois et les activités y afférant ou le musée des troupes de montagne à la bastille de Grenoble qui présente l'histoire des chasseurs alpins et des soldats de montagne, ce sont en vitrine des objets usuels qui viennent alors témoigner de la vie et des pratiques quotidiennes d'Êtres-Humains qui, dans les collections antiques, sont originaires d'une civilisation éteinte et d'un temps révolus.
Ainsi peut-on admirer un kylix grec datant du -Ve siècle avant, dans lequel on y versait le vin lors des banquets, et comme pour influencer la personne fraîchement avinée, est peint au fond de cette coupe, un homme faisant un barbecue. Comme quoi, certaines pratiques, virilistes pour certain.e.s1, ont réussis à survivre au temps. D'autres non.
N'ayant pas l'eau courante domestique, les grec.que.s utilisaient alors des vases de transport appelés hydries comme celle, devant nous, du -VIe siècle et qui a, quant à elle, peint sur sa surface un épisode de nature bien différente. Entre les déesses Artémis et Athéna, Apollon et Héraclès se disputent un trépied sacré avec, au milieu, Hermès essayant, en vain, d'apaiser les tensions. Cette scène nous est aujourd'hui mythologique, mais était à cette époque religieuse faisant donc parti d'une véracité à laquelle on portait une dévotion. En effet, plus que cette picturale présence, les collections antiques, dont celle de Dijon, sont fournies en objets cultuels et religieux exposant alors l'importance et l'omniprésence de la religion dans la vie quotidienne des sociétés antiques. Ainsi, autour du sarcophage égyptien de Hor estimé entre le -VIIe et le -IVe siècle, sont parsemées une multitude de statuettes religieuses dont certaines sculptées dans du lapis-lazuli, flamboient sur le fond noir d'un sublime bleu-azur. Afférant aussi aux rituels funéraires, quatre portraits dits ''Fayoum'' datant du IIe et IIIe siècle qui suite à l'annexion de l'Égypte par l'empire Romain, remplacent au fur et à mesure les masques mortuaires traditionnels par une peinture du défunt qui, dans leur esthétique clairement romaine, exprime l'aspect culturel de la colonisation. Si cette civilisation est aujourd'hui plutôt connue pour ses sculptures, théâtres ou mosaïques, leurs peintures, comme celle sous nos yeux, sont d'une belle qualité mimésique qui n'a clairement rien à envier aux tableaux médiévaux vers lesquels nous nous dirigeons.
À contrario nos civilisations européennes actuelles sont, pour le coup, reconnues pour leurs peintures même si le premier millénaire reste encore marqué par son assujettissement à la religion, chrétienne, et une mimésis peu subtile comme celle de La Vierge et l'Enfant entre saint Jacques le Majeur, saint Antoine et deux saintes, du Maître de Montefloscoli où la Vierge sur un fond uniquement doré, est plus bien plus grande que les saint.e.s qui l'entourent même ceux, pourtant, les plus proches de nous. Parcourant cette galerie, que j'apprécie beaucoup dans leur style, mon regard est cependant happé par un tableau d'une époque suivante.
Dans la collection du XVe, début de l'époque moderne, une vierge semble être représentée avec des rides, donc avec une certaine maturité totalement exceptionnelle dans la représentation de ce personnage. Très intrigué, je me hâte alors vers cette Vierge et l'enfant entourés de six anges del'École de Vincenzo Foppa peinte en 1490, et, effectivement, se dessine au bord des yeux de Marie quelques pattes d'oie et cernes, mais de manière complètement différente que je ne le pensais, car c'est en réalité la propre vieillesse du tableau qui de ses craquelures, donnent à la Vierge la sienne, comme si le tableau et sa représentation avait tout deux pris de l'âge en même temps.
Un peu plus loin m'interpelle aussi, mais ici d'un sourire, un autre tableau, le diptyqueSaint Michel et Sainte Eulalie de Pedro Garcia de Benabarre et plus précisément, la créature contre laquelle Saint Michel combat. Même si la représentation de ce conflit entre l'arc-ange Saint Michel et le dragon, allégorie du mal, est assez classique,celle du ''dragon'' est ici plutôt spéciale. Dans une forme anthropomorphe, grimace ridiculement un diable verdâtre à cornes tordues, à poils noirs rayés blancs sur la tête, à queue de biche et à ailes de chauve-souris grises. J'adore. De manière générale, c'est le bestiaire fantastique médiéval que je trouve très inventif, rempli de monstres saugrenus issus d' un assemblage plus ou moins réussi de différentes parties animales. On peut notamment en découvrir sur les anciennes cartes maritimes comme celle agrandie à l'exposition cabinet des merveilles au musée Benoît De Puydt de Bailleul ou dans le tableau La chute des damnés de Dirk Bouts exposé au Palais des Beaux-Arts de Lille.
Fils de ce dernier, je m'approche maintenant de la peinture d'Albrecht Bouts, Le Christ couronné d'épines, peinte en 1495, pour le moins impactante. Même si résident quelques petites imperfections anatomiques dans l'alignement des yeux, au niveau de l'oreille ou du cou, la réalisation se sublime par sa minutie et ses détails tout à fait exceptionnels pour une fin du XVe siècle. Le tressage de la couronne aux longues épines qui telle une personnification visuelle, exprime une réelle malfaisance, la barbe et les cheveux de Jésus dont je suspecte qu'ils aient été fait mèches par mèches, la subtile couleur de la peau finement nuancée et les gouttes rouges du sang coulant de son crâne transpercé ou celles transparentes des larmes versées, relèvent d'une extraordinaire technicité picturale. Et puis l'émotion de tristesse tempérée de Jésus dont on ne sait si elle s'exprime pour sa propre situation ou si, comme je l'interpréterais plutôt, si elle est, à l'inverse, adressée aux humains ayant choisi l'amour du pouvoir plutôt que le pouvoir de l'amour.
Encore stupéfait par ce tableau, je me retourne pour la suite dans un long couloir qui se détache du plan que je m'étais fait du bâtiment. M'approchant de la fenêtre qui donne sur une cour, je m'aperçois qu'en réalité, le palais des (traîtres) ducs de Bourgogne est bien plus vaste que je ne le pensais. Alignés sur le mur du couloir, se succèdent d'ailleurs les portraits de ces fameux (et déloyaux) ducs : Philippe le Hardi, Jean sans Peur, Philippe le Bon et Charles le Téméraire qui, comme vous pouvez le remarquer se sont choisis des qualificatifs bien différents des miens. Si je me permets, avec humour, d'être aussi insultant envers eux, c'est qu'ils se sont retrouver acteur d'un conflit duquel le royaume de France même, a failli disparaître.
Même si le Roi de France Charles était nommé, le bien-aimé, il était surtout fou au point de ne pouvoir, dans ces nombreuses crises protéiformes, assurer correctement les fonctions qu'incombent à son titre. Cet effondrement mental devient alors aussi celui du pouvoir royal, réveillant l'appétit de quelques charognards planant autour. Ainsi s'oppose en France deux factions, celle du frère du Roi, Louis d'Orléans, et celle de notre duc de Bourgogne Jean sans peur qui, avec le duché de Flandres, possède alors une grande partie du royaume. Dans cette meurtrière guerre interne pour le contrôle du Royaume débarquent sur les côtes les Anglais et son roi Henri V qui revendique, dans une certaine légitimité de lignage, le trône de France. S'alliant alors avec Philippe le Bon, nouveaux duc de Bourgogne, ils font signer en 1420 au Roi de France, malade, le traité de Troy qui répudie son fils le prince Charles VII alors réfugié à Bourges suite à l'entrée des Anglais à Paris et légitime le roi d'Angleterre comme futur gouvernant du royaume de France.
Bien sûr, l'histoire ne s'arrête pas là, puisque Charles VII récupérera le trône grâce, notamment, à Jeanne d'Arc, mais en gardant tout de même, et encore longtemps après lui, une grande méfiance envers les ducs de Bourgogne.
Continuant mon parcours, je me fais, encore une fois, saisir par deux exceptionnels retables en triptyque de 1399 commandés par le duc Philippe le Hardi, celui de la crucifixion et celui des saints et martyrs du peintre Melchior Broederlam et du sculpteur Jacques de Baerze. En effet, méticuleusement sculpté, à même les panneaux de bois, tout un magnifique ensemble d'arcades et colonnades dorées donnant un luxuriant fond architectural gothique par-dessus lesquels se jouent différentes scènes des récits chrétiens. Émerveillé par ces exceptionnels travaux d'orfèvrerie, je vais quérir mon ami manifestement un peu plus lent que moi, ce qui est un exploit.
Assis sur un canapé au milieu de la galerie, il dessinait en fait un tableau de Sainte Odile de 1500 et plus précisément son étrange livre possédant des yeux. Oui, des yeux à un livre ! Comme quoi, je ne suis pas le seul a m'amuser des bizarreries de l'imagerie médiévale. Après avoir refait à deux les restes des tableaux, nous arrivons devant les retables qui, de leur virtuosité minutieuse, font unanimité.
''DING DONG''
« Le musée va fermer dans cinq minutes, nous prions les visiteurs de rejoindre la sortie »
- Bon. Me dit mon ami se retournant vers moi, je crois qu'il va falloir revenir, nous n'avons même pas encore fait la moitié.
A.Rymbaut
1 VERNER Robin, ''le barbecue, symbole de virilité'':Sandrine Rousseau lance le débat au sein de la classe politique ,BFMTV, août 2022.