Pérégrination Artistique#22. Animal Politique, Centre Pompidou, 19/02/2024, Paris.

26/02/2024

Me revoilà en transhumance artistique dans la dense forêt d'immeubles parisiens qui m'est, à l'image de mes congénères qui en ont fait leur environnement naturel, de plus en plus familier. Parmi l'homogénéité haussmannienne de ces arbres s'en détache un, immanquable, qui semble sans pudeur avoir fait tomber sa belle écorce pour se mettre à nu, le centre Pompidou. Sortant telles des tiges du sol de larges tuyaux colorés s'élèvent, structurés par une solide charpente métallique. Montant pour démarrer ma visite, à la cime, s'étend alors devant moi et jusqu'à l'horizon l'immense et impressionnant feuillage de tuiles de la sylve urbaine. Après être descendu par les différents feuillages artistiques, je termine à la base du tronc pour visiter le dernier bosquet de ma journée, l'exposition Animal Politique de l'artiste Gilles Aillaud.

Préalablement introduite par le tableau Vols d'oiseaux, qui représente une nuée d'oiseaux dans le ciel, j'entre dans la première salle dans laquelle est exposés trois tableaux issus d'un voyage qu'a fait l'artiste au Kenya.

Sur le mur à ma droite s'étire horizontalement sur quatre mètres cinquante le tableau Les oiseaux du lac Nakuru qui reproduit assez fidèlement un groupe de flamants roses dans un lacustre paysage africain. Si l'on considère la toile dans sa planéité se succèdent alors sept bandes colorées, que l'on pourrait dans sa profondeur nommer aussi plans, qui traversent l'entièreté de ce long tableau. De bas en haut se superpose ainsi une ligne ocre d'herbes de savane dans un traitement aqueux qui l'éloigne de l'exactitude du détail puis enfoncé par la première, une bande bleue ciel qui représente avec la seconde bande de bleu plus foncé par le reflet des montagnes au loin la première partie du lac, s'ensuit une bande rose et noire incarnant les oiseaux et leurs reflets puis une seconde bande bleue claire plus fine pour la fin du lac, la bande suivante plus large et hétérogène se compose de la moitié d'une très fine lamelle d'ocre pour la savane, d'une ample ligne de bleu claire au reflet bleu foncé pour les montagnes parsemé de noir des oiseaux en vol, enfin pour finir tout en haut une dernière ligne bleu ciel du… ciel, cependant quelque peu nuageux, donc teinté d'une vapeur blanchâtre plus ou moins concentrée. De la même manière que les toiles de Gustave Guillaumet Le Sahara ou Le marché Arabe dans les plaines de Trocia, la succession de ces plans horizontaux et leur interruption par le bord réel du tableau, malgré leurs belles longueurs respectives, accentuent son étendu tant en profondeur qu'en latéral et permet alors d'exprimer, dans l'impossibilité de sa totale représentation, l'immensité de ces espaces naturels.

À l'opposé le second tableau Girafes s'appuie sur une absence de profondeur par un aplatissement que crée le traitement singulier des girafes rendant confus la frontière entre les trois plans du tableau. En effet ne s'identifiant que par leurs yeux et leurs tâches marron, le reste du pelage transparent fusionne alors les plans de végétation et du ciel mais aussi certes les girafes et leur environnement. Bien qu'ici demeure encore une certaine assiduité proportionnelle, la distorsion par rapport au réel certes sur les girafes mais aussi sur la végétation qui ne s'enferme pas dans le souci du détail mais s'exprime dans un trait libre, très esquissé voire même gribouillé, devient alors une vraie particularité du tableau.

Si le dernier tableau Éléphants après la pluie, empreinte au premier le jeu de l'horizontalité, il souligne cependant une véritable puissance autour de la ligne d'horizon formé par une superposition ramassée de ligne composée du paysage montagneux et de différentes bandes de pelouse vertes qui se dispersent de part et d'autres de la toile, en haut dans un ciel nuageux et en bas dans un sol inondé. Attirant l'attention en rompant de son gris corps de dos cette puissante ligne, l'éléphant, peint comme le reste des éléments du tableau : nuages, herbes, terre ; de manière volontairement ébauchée.

Partant pour la suite je me détourne de ce dernier tableau et de la salle, enchanté déjà par ce style, entre mimétique et singulier, que j'apprécie beaucoup mais aussi par le sujet dépaysant de l'Afrique des grands lacs comme par celui animalier qui n'est pas très fréquent. Cependant très vite cette deuxième, et en réalité dernière salle puisqu'elle contient dans son parcours la troisième, renverse complètement cette atmosphère donnant alors au sujet animal une composante plus grave au surtout beaucoup plus triste.

J'entre ainsi, encore ignorant de ce retournement, dans cette salle et son premier tableau Eau et crocodile qui représente cet animal vu du dessus, à trois quarts immergé dans une eau ondoyante. S'il partage avec Éléphants après la pluie, une occultation partielle de l'animal et une large place à son entourage, son traitement, lui, est cependant d'une exactitude mimétique impressionnante, notamment sur les reflets aquatiques. Cette mimésis, jusque-là quelque peu délaissé, sera alors dorénavant présente dans l'ensemble des tableaux comme dans les deux homonymes, Rhinocéros. Le premier situé au début de la salle, reproduit le pachyderme dans un étroit enclos regardant une barrière grignotée par la rouille, le second vers la fin représente lui, une paire de ces spécimens allongés dans leurs cellules séparés par des barreaux. Comme celles de Rosa Bonheur avec par exemple le Labourage nivernais, ces réalisations animalières sont sublimes par une vraie vivacité mais aussi par leur minutie découlant d'un préalable travail fastidieux présenté dans de ce petit espace de la troisième salle dont les murs sont saturés de dessins au crayon où se côtoie hyène, araignée, phacochère, chameau ou peut être dromadaire, lémurien, zèbre, yack, hiboux, serpent, poisson, lynx , hérisson,… Cependant n'est parmi pas illustré dans ces croquis un autre élément pourtant essentiel dans les deux Rhinocéros, un ''éléphant dans le couloir'', qui aussi précisément peint que ces animaux se révélera être véritablement le second sujet de cette exposition, l'Être Humain et ses infrastructures d'enfermement.

Sur le mur extérieur de la troisième salle qui, incluse, donne donc dans la seconde salle, est accrochée la toile Orang-outang, dont le premier plan s'avère être entièrement hachuré par une grille. Ce premier plan réintègre esthétiquement dans ce décor l'orang-outang qui par le pelage roux de son dos se détachait pourtant du gris environnant de sa prison. Si cette présence est ostensible elle reste néanmoins dans dans la plupart des tableaux implicites, cependant pour certaines toiles cette relation de domination s'avère clairement se révéler, notamment dans la toile Éléphants et clous. Bien qu'ils se partagent le titre, le cadrage au ras de sol ne laisse alors visibles de l'éléphant que de les pattes et un bout de sa trompe, à l'inverse au centre s'étend un amas de clous qui traversent horizontalement l'ensemble de la toile. Séparant l'individu de l'éléphant, l'Être Humain de l'Animal, l'inhumain de l'humain, ce symbole de l'enfermement cruel s'enjoint d'anneaux métalliques d'entrave et d'un tas terne d'herbes anhydres. Sur un autre mur La piscine vide représente, comme son nom l'indique, une piscine vide cependant surmontée d'écriteaux en allemand fraktur, il fait alors référence à l'Allemagne nazis et à leurs dispositifs abominablement inhumains, mais à moindre mesure comparables, d'incarcérations. Ha oui ! Au fond il y a un hippopotame allongé. Cette disparition de l'animal comme sujet principal au profit du sujet de leur traitement atteint son paroxysme dans Grille et grillage représentant uniquement ces différents objets d'emprisonnement.

Bien sûr par la présence des ses infrastructures l'artiste vient plus profondément et indirectement suggérer celle l'Être Humain que l'on devine aussi dans une autre technique pictural plus discrète, celle du cadrage parfois photographique. En effet si dans les trois tableaux de la première salle la présence du regardeur s'effaçait dans un point de vue monofocal très classique, certains tableaux, comme l' Eau et crocodile et sa vue en plongée sur le bassin, viennent alors me l'imposer me plaçant alors visiteur de musée dans la vision de celui d'un zoo. Si l'on retrouve exactement cette position dans Otarie et jet d'eau ou dans Ours Noir, dans Désert nocturnes c'est la représentation du mur extérieur au vivarium qui vient alors me positionner dans la scène picturale.

À la recherche d'un bar sympa avant de retourner dans ma forêt flamande, je me sens encore imprégné d'un émerveillement acidulé entre le sublime des toiles et leur propos dur mais surtout très percutant par une circonlocution esthétique efficace et une scénographie intelligemment contrastée. Je m'installe à ma table, commande un breuvage de chez moi et observe alors les humains sur leurs passages cloutés et les pigeons s'envoler dans le ciel.

A.Rymbaut 

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