Pérégrination Artistique#26. NFT partie 2 : Ne vous Figurez pas que c’était Terminé.
Connaissez-vous le concept de l'éternel retour ? Non non, pas celui de Nietzsche.
Celui de la vaisselle sale s'amoncelant inlassablement.
Pour supporter ces inexorables et interminables moments, je les joins à l'écoute de vidéos Youtube et cette fois-ci, réalisée par Brice Lambert et postée le 29 janvier 2024 sur la chaîne d'Arte, NFT : Chaos dans le monde de l'art. ''Chaos dans le monde de l'art''… ''Chaos dans le monde de l'art'' ?
S'il y eut certes ''dans le monde de l'art'' de fortes interrogations sur l'inflation galopante et la nature des NFT, elles sont aujourd'hui surtout entretenues par une ambivalence réelle mais cependant quelque peu exagérée, synthétisée dans ce documentaire, par la question suivante :
« spéculation financière ou avant-garde ? »1
Les NFT « en tant que tel n'avaient pas été inventé pour l'art », ce sont des objets purement informatiques issus d'une innovation, elle aussi, purement informatique, la blockchain, qui assure alors l'authenticité et la présence unique d'un fichier numérique dans le monde numérique où il est habituellement « duplicable à l'infinie ». Problème récurrent pour les artistes numériques (combien de copier/coller bande de petits truand.e.s ?) ils vont alors convertir leurs œuvres en NFT garantissant ainsi leur unicité, leur authenticité et donc leur nouveau statut «d'œuvre originale »2. Si la catégorisation de ces objets rapidement étiquetés de « crypto-art »3 sème le trouble, il est cependant clair que les NFT abritant « toutes les formes d'art numériques qui existent aujourd'hui : photo, vidéo, pixel-art voire généré à l'aide de l'intelligence artificielle »4, ne concernent aucunement leurs caractéristiques artistiques, mais uniquement celles numériques qui provoquent alors sur ce marché, effectivement, « un changement de paradigme »5.
Je ne suis néanmoins pas forcément en accord avec la nature de ce changement alors suggérée dans ce documentaire.
L'évolution du marché de l'art, prenant sa source dans les Flandres protestantes du XVIe siècle, développe un fonctionnement commercial en trois acteurs, l'acheteur, les artistes créant les œuvres et les marchands qui les exposent dans leurs boutiques. Si ce système peut sembler harmonieux dans une certaine interdépendance, c'est en réalité un équilibre plus complexe qui balance sous le poids de l'offre et de la demande induisant en fonction, un rapport de force entre ces deux derniers acteurs et qui aujourd'hui met les artistes « sous la tutelle des grands marchands d'art […] qui désignent ou non [...] tel ou tel artiste »6.
Si le monde numérique proposait cependant un espace, ici, bel et bien « fondamentalement opposé à celle du marché » reposant alors sur le partage gratuit des fichiers numériques récompensant les artistes, non financièrement, mais par une visibilité virale qui leur permet dans une propagation massive de s'insérer dans un marché rémunérateur du monde naturel, la création des NFT ne s'oppose quant à elle au marché, non sur les « valeur »7 mais uniquement de manière concurrentielle. En effet par l'assurance de la singularité du fichier numérique, la blockchain transfère alors dans le monde numérique l'un des principes fondamentaux du marché, celui de la propriété privée. Ainsi si les marchands servaient alors dans le monde de l'art numérique de garantis, les NFT reprenant alors ce rôle, viennent sortir « les galeries de l'équation. » Accentués par la commercialisation des smartphones et la mise en route des réseaux sociaux transformant et propageant le monde numérique, « c'est » maintenant, l'artiste « et le collectionneur sans intermédiaire »8 qui ouvrent à partir de 2017 un discret et petit marché parallèle réunissant autour de la création artistique « honnêtement dix mille personnes »9. Si cette époque est présentée comme un espace de libre partage, c'est en réalité, non grâce à la blockchain, mais uniquement dû à la jeunesse de son marché qui l'a alors occulté des yeux avares, mais ces Édens ne durent jamais et c'est en mars 2021 qu'a « sonné l'Apocalypse. »10
En effet est mise alors en vente par l'une des plus rentables maisons de vente d'œuvre, Christie's, la NFT de l'artiste Beeple, Everydays:The first 5000 days, qui décolle jusqu'à soixante neuf millions trois cent quarante six mille deux cent cinquante dollars faisant d'elle, la troisième œuvre la plus chère vendue par un artiste vivant. Cet événement historique et massivement médiatisé, dévoile ainsi au monde entier les possibilités artistiques de l'art numérique. Non je rigole, ça aurait pu mais pas du tout. Cet événement historique et massivement médiatisé, dévoile ainsi au monde entier les possibilités financières des NFT. Ainsi si cette œuvre profondément artistique présentant dans une mosaïque des travaux quotidiens de plusieurs années passant d'illustrations numériques fantaisies à un pop art numérique critique envers la société capitaliste, elle a aussi malgré elle posé un plafond démesuré sur cet objet informatique NFT qui révèle ainsi sa compatibilité naturelle avec le monde financier.
Créés massivement « par des entreprise du nouveau monde »11 et autres traders, venus principalement « pour faire de l'argent » certains NFT s'« [achetèrent] et [se revendirent] le double le lendemain, peu importe ce que c'était. »12 L'inflation galopante de ces produits artistiquement superficiels déphase alors la valeur financière et artistique, les dérobant ainsi totalement au contrôle des institutions artistiques tant publiques que privées. Si certains acteurs de ce secteur estiment que ces « créations » ne peuvent « avoir leur place dans un manuel d'histoire de l'art » car artistiquement « assez pauvres »13, on ne peut cependant rejeter dans l'absolu leur nature d'objet d'art, même s'il se retrouve complètement dévoyé. En effet comme « c'est le cas pour 90 % des gens même si la plupart le nient »14, ces projets sont initiés dans un désir premier pécuniaire mais doivent néanmoins pour pénétrer ce marché nécessairement mimer la création artistique questionnant de ce fait ces traders sur l'esthétique de leurs produits qui trouve alors une résolution singulière dans la subjectivité personnelle de ces artistes profanes. Se développe alors un grand nombre de PFP, pictures for profil, portraits fantaisistes pour les avatars numériques des utilisateurs, dont la série des Bored aps lancée en avril 2021 par l'entreprise Yuga Labs, qui représentent des singes blasés particulariser entre eux par un générateur de personnage, permettant alors, et surtout, de pouvoir augmenter leur nombre dans le moindre effort, aussi financier, selon le besoin du marché. Un fonctionnement reprit des CryptoPunks, PFP générative de personnages humains pixelisés, initiés eux, en 2017 et dont le numéro 110 a été donné au Centre Pompidou dans leur acquisition plus nombreuse de NFT présentée dans une exposition en 2023.
Si certaines de ces œuvres possèdent clairement une teneur artistique plus palpable que le CryptoPunk#110 comme Sentimentite d'Agnieszka Kurant esthétiquement plus élaboré ou Nakomoto (the Proof) d'Émilie Brout et Maxime Marion approfondissant une réflexion sur ce marché numérique et même si sont ici pertinemment tissé des liaisons esthétiques presque filiales avec des courants artistiques non numériques, cette exposition qui n'aurait au final jamais eut lieu sans cette période hyper-inflationniste en est donc surtout un témoignage. Car de la même manière que l'époque naissante de l' « utopie »15 ne pouvait durer, celle de l'hyper-inflation non plus et comme l'illustre assez violemment l'artiste Beeple dans sa création du 2 avril, tout est terminé et avec, beaucoup de choses oubliables mais en transformant néanmoins ce marché de manière plus stable et donc plus durable.
En effet, comme la nature même des NFT pouvait le laisser présager, le monde de l'art numérique s'est simplement fait normaliser : les galeries sont devenu des plateformes qui, moyennant un pourcentage sur une vente, centralisent et exposent leur travail des artistes à des collectionneurs, habituellement connaisseurs d'art, sont devenu des utilisateurs achetant alors « une forme d'art qui incarne [leur] culture »16. Un vrai marché parallèle d'art numérique qui indépendamment du monde artistique traditionnel et de ses institutions s'est formé dans un schisme que les NFT ont précipité et fait, sans en reniant les liens, les passerelles et un certain héritage avec l'art pictural, sa propre histoire encore balbutiante mais aujourd'hui stable et qui se développera alors conjointement avec le monde traditionnel.
Piouf… Figurez-vous que cette fois-ci c'est bien terminé…
C'est la dernière assiette sale…
Enfin… jusqu'à la prochain fois…
Quel travail harassant.
A.Rymbaut
1 0:43.
2 DE FELIPE Primavera, 3:55.
3 Stellabelle, 4:12.
4 5:52.
5 EHRMANN Thierry, 8:32.
6 Ibid, 9:30.
7 DUHEM Léa, 7:13.
8 Stellabelle, 7:00.
9 PAILHON Jean-Michel, 17:00.
10 Stellabelle, 22:17.
11 22:45.
12 OSF, 22:46.
13 QUEMIN Alain, 23:50.
14 OSF, 19:00.
15 35:48
16 24:37