Pérégrination Artistique#6. Sortie de Terre3, Stéphanie Cailleau

21/01/2022

Séant vissé sur mon siège, ma concentration se dégradait au même rythme que celle du bleu du ciel. Dans une certaine torpeur je fis glisser doucettement ces ultimes moments quand d'un coup, telle l'étincelle, une nouvelle me raviva. Non distant de là, tant dans l'instant que dans l'endroit, un vernissage inopiné qu'une amie organisait. Négociant avec mes inclinaisons hivernales à l'hibernation, ma passion prit le pas... jusqu'à la galerie des 3 lacs. Sur celui de la porte, devant moi, neuf très longues robes suspendues sortant de la terre dont la salle était intégralement recouverte et plus parcimonieusement de feuilles mortes. J'entre et commence ma visite se transformant au fur et à mesure en marche forestière. Les odeurs nous atteignent, des réminiscences nous apparaissent, des impressions nous saisissent et une atmosphère boisée s'installe.

Bien sûr même si les représentations de l'arbre dans l'histoire et le monde de l'art sont nombreuses, que ce soit chez les classiques, Michelangelo Buonnaroti ou Lucas Cranache dit l'ancien, dont l'arbre du péché prit de multiples formes, de manière abstraite comme chez Piet Mondiran ou plus contemporaine avec les arborescents cartons d'Éva Jospin, Stéphanie Cailleau nous prouve par la singularité de sa proposition que ce sujet n'est pas encore éculé. Contrairement à tous ces exemples sortie de terre ne représente déjà pas directement un arbre, mais intègre des motifs floraux, non comme chez Klimt pour orner son arbre de la vie, mais en s'en servant pour signifier l'analogie arboricole. Et ce lien qu'entretien l'œuvre avec l'arbre est d'autant plus étroit qu'il ne construit et ne se visualise pas qu'a la réception de l'œuvre mais irrigue tout le processus de création on ne peut plus surprenant et unique.

Tout démarre par une étape de récupération de robes ou tissus de coton imprimés de motifs floraux. Une fois découpés pour former deux parties plates, que sont l'avant et l'arrière des robes, l'artiste y coud des fils de polyester formant un réseau structurant la robe. C'est ensuite que les mains de l'artiste laissent place à celle de la nature et ses aléas. Bien que la robe soit parsemé sur le haut, de pièces protectrices en plastique elle est enterrée dans du compost et lentement grignotée. Cette technique inspirée par l'artisanat teinturier indien, où elle voyagera durant ses études, formera sur ces robes après un certain temps d'enfouissement, entre trois semaines et trois mois, un dégradé de dégradation. Une fois sorties du compost elles sont réenterrées mais cette fois-ci sous du terreau semé de graines de blé. Deux semaines seront alors nécessaires pour que les racines se forment et forment une trame à l'intérieur des robes. Celles-ci déterrées, les tiges de blé coupées au ras du tissu alors émaillé de racines. La terre partiellement enlevée et modelée à ses souhaits, de la mousse est alors récupérée en forêt et intégrée aux vêtements finalisant les étapes de préparation. Une fois sur place les deux parties de la robe sont réassemblées puis suspendues et la salle est remplie de terre, nous renvoyant au début de ce texte.

Une fois les sensations éprouvées et les réminiscences clarifiées, une signification plus profonde et cérébrale de l'arbre s'entre ouvre à mon regard. Jonction entre deux extrêmes, la cime et la racine, l'air et la terre, le mouvement et l'immobilité, le changeant et le permanent, cette œuvre lui reprend cette caractéristique et se déploie en une composition (ou décomposition) graduée avec comme première extrémité le ''naturel''. Bien sûr si cette première lisière est, par la présence végétale, assez évidente, son opposition me semble cependant plus flou et multiple. La conception à deux mains de ce projet, entre celle de l'artiste et de la nature, pose selon moi sa première dualité avec le ''manufacturé''. La seconde, le ''simulacre'', s'identifie visuellement dans les motifs imitation de fleurs alors sans mouvements, sans versatilités et sans parfums. Germe de ce projet une pensée de l'artiste résume parfaitement cet antithétique triolisme, celle de la destruction de végétation et de sa transformation en vêtements aux motifs... floraux. Une autre composante visuelle nous met sur la voie d'un nouveau contraste qui bien que se rapprochant du couple nature/manufacture ne peut clairement s'y définir, celui la vie et la mort. Représentation anthropomorphique de l'arbre qui, à l'inverse des Ents chez Tolkien ou de la forêt qui court de Jérôme Brasserode, ne suggère pas une hybridation mais un passage de l'un à l'autre, d'une base tel le tronc, se muant dans son élévation et par la manufacture, en une robe flottante tel le fantôme d'une défunte s'accrochant encore à notre monde. Et c'est justement dans cette métaphore que le dernier oxymore se révèle, le passage de la vie à la la mort dont Samuel Rousseau rend compte dans son œuvre l'arbre et son ombre. Mais là ou cet artiste inscrit la temporalité vie/mort par le médium vidéo lui-même temporel, Stéphanie Cailleau la spatialise telle une frise chronologique dont le sens nous est donné dans le titre, sortie de terre.

En face de moi la végétale nature pourvoyeuse de vie mourant petit à petit par la manufacture de l'homme en se transformant en simulacre d'elle-même. Des sensations d'émerveillement boisé laissent place en moi à une certaine tristesse dont cette pièce est encore une fois certainement un mélange des deux. Je repars donc The Forest de B77 dans les oreilles sous le ciel dorénavant entièrement encré.

A.Rymbaut 

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