Pérégrination#28. Sans Titre, Pib.

11/11/2024

De retour du marché sous le gris plafond du Nord qui a, en cette saison d'automne, de nombreuses fuites, s'ouvre inopinément à mon chemin qui me portait alors inexorablement vers les charges de la vie contemporaine, la porte de l'espace Édouard Pignon et l'exposition qu'elle loge, HIP hop, hop hop. J'entre, pose mes lourds sacs et démarre alors la visite.

Comme l'indique le nom de cette exposition, est tendu en toile de fond de la culture hip hop et ses différentes formes artistiques cependant si l'artiste Eric Fitamant avec ses poétiques collages animaliers en a une pratique direct, les deux autres artistes par la photographie viennent plutôt l'exhiber. Tout d'abord François Henguelle qui sublime et immortalise de ses prises des graffitis cachés et éphémères, mais aussi, le photographe Pib qui met, lui, en scène, au côté de certaines œuvres du Palais des Beaux Arts, des break danceur.euse.s.

Dans les clichés de ce dernier se mélangent, superposent, juxtaposent alors plusieurs visions et démarches artistiques dans une cohérence tantôt amusantes comme sur celui du danseur qui semble porter la gigantesque sculpture du chevalier errant d'Emmanuel Frémiet, tantôt intrigantes par certaines invraisemblables positions telles que celle, à l'horizontal dans le vide devant le monument aux fusillés de Félix Desruelle, parfois très pertinentes où un danseur reprend, dans une impressionnante pose, la forme de la sculpture abstraite, composition d'Eugène Dodeigne et même, dans l'un de ses clichés de manière très profonde.

Dans un angle légèrement contre-plongée se lie dans un effet de superposition qui joint leurs mains respectives, deux figures. La première est celle de la statue en bronze noir La Grande Ombre d'Auguste Rodin faite originellement pour un magnifique ensemble sculptural, La Porte de l'Enfer, et qui représente un gigantesque homme courbé, aplati, déformé, brisé marchant très péniblement. La seconde figure est celle du danseur, corps en suspension totalement ouvert à la luminosité que la fenêtre en face de lui offre. S'exprime ici de manière assez manifeste un effet de contraste plutôt classique entre lumière et ombre, lourdeur et légèreté, ouverture et fermeture, abattement et élévation, gravité et volupté. Mais ce contraste n'est néanmoins pas en opposition mais intègre plutôt une unique direction narrative que les protagonistes, tournés du même côté, indiquent et que les arcades plafond de la salle des sculptures du Palais des Beaux Art viennent soutenir. Venant d'un passé sombre, la statue est alors conduite dans l'affection qu'exprime le fait de se tenir la main, par le danseur vers un avenir lumineux. Ces différentes techniques artistiques et esthétiques charpentent et creusent dans la surface plane de cette photographie sans nom, un symbolisme, un sens implicite interne et donc de possibles interprétations, libres et singuliers à chacun et chacune.

Existe au sein de cette photographie, mais aussi dans l'exposition, mais aussi dans le monde culturel, mais aussi et, en fait, dans la France entière un autre contraste, celui entre la culture dite ''hip hop'' et celle que je nommerai, à défaut pour l'instant de trouver mieux, traditionnelle nationale.

Attention.

Le mot culture peut avoir différents sens, je définis ici la culture comme l'ensemble des rituels et des esthétiques identifiant et singularisant un groupe et ses membres par rapport à d'autres.

Si la France peut historiquement se résumer, de manière très rapide, dans un rapport entre une culture nationale, incarnée par la royauté, et les nombreuses cultures régionales, provenant des différent duchés, les années 1980 ont vu s'installer avec l'immigration africaine une nouvelle culture, hip hop, influencée par celle afro-américaine. Si ces deux immigrations n'ont pas la même histoire, elles partagent cependant une caractéristique qui se retrouve au fondement de leur évolution culturelle en Occident : le territoire.

Post-guerres mondiales, l'immigration s'établit alors dans une France fer de lance, comme la plupart des pays occidentaux, du modèle capitaliste consumériste qui réarrange alors les territoires autour de grandes villes où se concentre l'ensemble des activités attirant ainsi les masses dont, dans les banlieues, celle migratoire. C'est ainsi, dans ces zones nommées, ''les quartchiers'' et caractérisées par des logements en barres et tours, que se développe de génération en génération une nouvelle culture. Ni héritière d'une culture d'origine, ni de la culture traditionnelle française, même si très certainement teinté dans sa profondeur des deux, elle singularise et identifie, comme pour les cultures régionales, un nouveau groupe par ses rites et esthétiques. Cependant si les cultures régionales sont attachées à un territoire fixe et unique qui les éloignent du centre de la culture traditionnelle nationale qui est, depuis le roi Clovis, premier roi de France, la ville de Paris, cette nouvelle culture afro-française y élis aussi en périphérie domicile . Une proximité qui développe, d'abord dans la capitale puis dans d'autres grandes villes de France, un réel contraste culturel entre un centre-ville aux multiples institutions traditionnelles comme les musées, théâtres, opéras, statues, monuments,… et les banlieues. Néanmoins que ce soit, d'un côté, dans une vision conservatrice, nationaliste voire même raciste, qui voit dans cette nouvelle culture une défiance de ces nouveaux arrivés envers la nation ou, de l'autre côté, dans des pratiques illégales ou immorales, même niveau artistiques avec le graffiti ou le rap aux paroles contrevenant parfois à la morale ou aux implicites de l'époque, s'est engagé un conflit dépassant largement le monde de la culture.

A l'inverse, la photographie de Pib qui travaille depuis des années sur la saisie de cette culture hip hop, montre alors une autre vision de ce contraste. Une vision en réalité partagée par beaucoup d'autre acteur.rice.s du monde culturel, qu'ils ou elles soient dans les institutions ou dans les quartiers.

Lui tenant alors affectueusement la main le danseur hip hop de son saut, classique, de biche, enjoint ce personnage courbé vers le sol, fermé qu'incarne la statue de Rodin à s'ouvrir vers un avenir plus lumineux où la culture hip hop, urbaine, contemporaine et afro-occidentale ne soit non plus vue comme une contre-culture mais telles les cultures régionales et telle ce qu'elle est en réalité, un morceau de la culture française dans ce qu'elle a de plus hétérogène.

De retour sur mon chemin qui n'a malheureusement pas changé de finalité, le plafond gris du nord se craquelle quelques peu et laissant alors entrevoir la lumière et sentir la chaleur de l'étage du dessus.

En fait, j'avais tort, le chemin a bien dévié.

A.Rymbaut

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