Pérégrination Artistique#17. Dissection d'une Image.

10/11/2023

Si l'invention de l'imprimerie à l'aube du XVIe siècle a entamé en Europe une vive propagation de représentations du monde par la facilitation de la production de livres, celles de l'ère électronique l'ont accru en véritable invasion dans laquelle l'image, que ce soit dans sa forme statique que dynamique, compose majoritairement l'infanterie. Mais ces attaques pénétrantes des représentations dans nos vies sont aujourd'hui terminées car l'heure est dorénavant à l'occupation.

En effet si d'antan les vies des Êtres-Humains étaient principalement définies dans un rapport de confrontation direct à la réalité, elles se constituent aujourd'hui autour de représentations qui confortent les individus dans une vision esthétisée du monde. Un basculement s'avérant de plus en plus constituant des Êtres et qui n'aurait pu chavirer sans le poids de certaines avancées majeures. D'abord celle d'internet qui contrairement aux technologies précédentes reliant uniquement le point d'émission au point de réception, héberge dans espace virtuel les informations consultables à tout moment par un ou plusieurs individus. Se constitue ainsi et au fur et à mesure un monde de représentations s'étendant nébuleusement, en tout cas au démarrage. En 2005 la création des réseaux sociaux vient quelque peu structurer ce nuage autour d'un espace relationnel dans une organisation presque urbaine avec ses zones résidentielles pour les avatars numériques et son ''agora'' où défile constamment du contenu public sur lesquels n'importe qui peut instantanément s'exprimer. Mais si nos déambulations aujourd'hui courantes dans ce monde numérique nous le semble impalpable, il n'échappe cependant pas à une matérialité qui est elle soumise dans son fonctionnement à des processus physiques réels ainsi qu'à leurs conséquences.

Pieds quelque peu traînant d'une journée de marche je m'affalais sur le banc d'une salle peu fréquentée du Musée d'Orsay. Parmi les visiteurs alentour deux femmes dont l'une contemplative posait de dos devant Les femmes Gauloises : épisode de l'invasion romaine d'Auguste Glaize et la seconde à moitié accroupie tentait, comme Glaize avant elle, de chercher le meilleur angle, cependant à la place du pinceau, de la toile et de la galerie c'est aujourd'hui le smartphone, l'écran et, certainement, les réseaux sociaux. À chaque tapotement sur l'écran s'effectue alors une numérisation de l'image qui, telle l'ancienne technique artistique de la mise au carreau, est découpée en tout petits carrés appelés ici des pixels. Va être alors attribué à chacun d'eux une approximative couleur unique elle-même définie par des nombres, ceux de taux de couleurs primaires permettant une fois mélangés en précise proportion, de recouvrir l'intégralité des couleurs existantes.

Partant de la salle, la muse d'un cliché sera peut-être satisfaite de son artiste et décidera que cette prise réussite figure alors sur les murs de sa résidence virtuelle. Après quelques manipulations du pouce l'image est alors postée, mais ce n'est en réalité pas l'image qui est envoyée, mais son code numéral binaire. Et c'est tout d'abord par émission que son sinueux parcours commence, connecté soit à la wifi du musée soit la 5 ou la 4g, il avance transporter à l'intérieur des oscillantes ondes électromagnétiques. Arrivée jusqu'à la boxe ou l'antenne, cette série de nombres poursuit alors son parcours par liaison directe mais que l'on pourrait aussi qualifier d'électromagnétique puisque les câbles de fibre optique utilisent les signaux lumineux qui sont des ondes électromagnétiques1. Cependant le code n'est ici pas caché dans l'onde, mais par clignotements qui transforment les nombres binaires2 composés donc de 0 et 1, tel que le 0 sera la position, ''off'', sans lumière et le 1 le ''on'', avec lumière. Un clignant signal numériquement significatif transmettant plus globalement et globalement l'ensemble des informations numériques terrestres à travers d'immenses câbles sous-marins qui « [constituent] désormais pour les États un levier d'influence géoéconomique immense. »3

Une fois arrivé au ''data center'', son parcours est alors terminé puisque c'est là que ce code sera hébergé comme l'ensemble des données internet. Ces gigantesques centres remplis de serveurs et baies de stockages sont les espaces réels et matériels des espaces numériques et virtuels. On imagine bien alors, le poids phénoménal de cet ensemble, dont « leur part dans la consommation électrique mondiale devrait atteindre 13 % dès 2030 »4, puisque tous les contenus d'internet y sont numériquement stockés en fonctionnement permanent. Un monde, tel celui des films Matrix de Lana et Lily Wachowski, uniquement numérique mais d'apparence naturelle cependant approximatif et simplifié, car le monde réel n'est lui pas composé de pixels, ou peut-être éventuellement de pixels infiniment petits.

Ainsi si j'étais l'un de ses ''followers'', je pourrais alors admirer ; après que le ''data center'' est envoyé le code binaire de la photographie, qu'il soit passé, clignotant, par le câble de fibre optique, puis transporté dans une onde électromagnétique émanant de ma boxe, retranscrit en nombres habituels qui forment un taux de couleurs primaires précis pour chaque pixel composant cette photographie ; en plus de l'incroyable érudition de cette personne, la beauté du tableau derrière.

A.Rymbaut


*1 Fiche 1 : Les ondes électromagnétiques, section photo pérégrination artistique.

2 Fiche 2 : Le code binaire, section photo pérégrination artistique. 

3 PERRAGIN Charles, RENOUARD Guillaume, Câbles sous-marins, une affaires d'états, Manière de voir 178, La Mer histoire enjeux menaces, Le Monde diplomatique, août-septembre 2021.

4 ROUSSEAUX Daniel, Pour une vraie sobriété, encadrons les datas centers, Reporterre, janvier 2023.   

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